Soleil Noir« Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit. », ouverture du poème Anywhere out of the world, Baudelaire En décidant de nommer son exposition Anywhere, anywhere out of the world, Philippe Parenno s’inscrit dans le sillon d’une écriture de la mélancolie. 2400 ans plus tôt, les premières théories qui abordent la mélancolie sont rédigés par des médecins et philosophes qui s’attachent à relier les désordres de l’esprit (la peur, la tristesse,..) à des causes naturelles. Hippocrate, dans sa « théorie des humeurs », décrit le corps comme étant constitué par les quatre éléments (air, eau, feu, terre) auxquels correspondent quatre « humeurs » (le sang, la lymphe, la bile jaune et la bile noire). Ces tempéraments sont déclinés sur les plans physiques et émotionnels. La mélancolie est physiquement associée à la rate (spleen en anglais), siège biologique de la bile noire. Le mélancolique serait en proie à la crainte et à la tristesse : « Si crainte et tristesse perdurent, un tel état est mélancolique », traité d’Hippocrate. Cet état mélancolique est toutefois marqué d’une certaine ambiguïté. Aristote reconnaît les héros et les grands hommes politiques comme nécessairement bilieux. Une disposition qui leur permet l’exercice d’un certain génie dont ils disposent afin d’accomplir de grandes oeuvres, avec toutefois des risques de depression et d’abattement profond. « Avec Aristote, la mélancolie, équilibrée par le génie, est coextensive à l’inquiétude de l’homme dans l’Etre», Ainsi le philosophe serait-il mélancolique par surabondance d’humanité.» (Julia Kristeva, Soleil noir: dépression et mélancolie, Paris, Gallimard, 1987, p.17) Cette tonalité mélancolique traverse l’exposition de Philippe Parreno au palais de Tokyo. En témoigne le projet CHZ, à la fois un paysage et un film sur ce paysage. Le territoire de ces paysages se situerait sur une planète en orbite autour de plusieurs soleils nains. La photosynthèse d’un tel environnement, alors parvenu à son seuil de saturation, produirait des végétaux noirs dont la monochromie rappelle les voiles noires que l'attrabile dépose sur le regard. Dans la pièce de William Shakespeare, le personnage Hamlet voit le fantôme de son père lui apparaître et se demande s’il ne s’agit pas d’un effet de sa mélancolie. Dans le film de Philippe Parreno, est-ce le dispositif qui en générant une chimère de la star apporte cette sensation mé Marylin lancoliq ue ? Ou bien est-ce une certaine disposition mélancolique, déjà présente chez le spectateur qui permet cette manifestation spectrale, quasi charnelle? La coquille Ann-Lee, réemployée par Tino Seghal durant l’exposition, s’est littéralement faite chair. Au cours d’une performance, Ann-Lee devenu une jeune fille en chair et en os apostrophe le public. Avant de quitter la pièce elle demande: « Quelle est la relation entre un signe et la mélancolie » ? En 2008, lors d’un entretien avec Hans Ulrich Obrist, Philippe Parreno affirmait que « la mélancolie pourrait (peut-être) offrir une alternative politique ». Ce timbre mélancolique qui résonne dans le palais de Tokyo charme facilement l’attention. Ce ton bilieux pourrait être perçu comme une séduction facile. Des critiques ont pu le regretter en ajoutant que finalement l’artiste ne s’engageait nulle part, abandonnant tout le potentiel critique de son travail. Il ne s’agit pas ici de défendre ou non cette position mais d’essayer de voir depuis quel contexte elle peut émerger. Regretter une difficulté à identifier clairement le contenu critique et réflexif de cette exposition est une critique qui laisse entendre une attente particulière sur ce que doit être l’art, ou du moins, à quoi il doit servir. |