En 1506, Giorgione peint « Laura » un portrait de jeune mariée de trois quarts, des branches de laurier se déploient depuis son dos. Avec sa main droite, elle tire légèrement son manteau et dévoile l’extrémité d’un sein nu. Laurea signifie « couronne de laurier », l’arbre d’Apollon, symbole de chasteté et de victoire. La peinture durant la Renaissance devait offrir au peuple un stimuli relativement précis, parlant et accessible afin de méditer la Bible, la vie des saints ou les thèmes mythologiques. La peinture fonctionnait comme le support sensoriel à même de faire le trait d’union entre le mythe et l’expérience d’un public.
Dans le tableau de Giorgione, la représentation des branches de laurier est une coquille dans laquelle se loge l’évocation apollinienne. De la même manière que le titre lui-même, Laura, dont l’étymologie effectue un renvoi similaire. Le geste de tirer le manteau et d’exhiber un flanc de sein suggère la fécondité de la mariée. La complète réception nécessite la capacité pour le spectateur de reconnaître les signes présentés. Ainsi les éléments pourront se prolonger dans son imagination et manifester le sujet de sa méditation. Les personnages, les objets ou les actions sont les coquilles qui, amarrées dans un support, permettent de contenir et de diffuser. L’imagination poursuit alors un chemin assez linéaire depuis la coquille vers son contenu symbolique. Cette considération est légèrement caricaturale dans le sens où l’activité des peintres de la Renaissance ne peut se résumer à une illustration littérale de ces éléments. Si tel était le cas on ne pourrait quasiment pas les distinguer. Certains éléments dans les peintures ne sont pas si évidement rattachables à une quelconque fonction. La jeune femme du portrait de Giorgione se tient droite, assume son geste en adressant un regard déterminé et audacieux. Les traits et l’attitude de cette figure sont un choix du peintre qui, certes signifie quelque chose, mais qui sont déjà un écart dans la nécessité de signification propre au thème du portrait. Ce type de caractère sulfureux est récurrent chez Giorgione qu’on peut en cela distinguer de Botticelli dont les figures peintes de jeunes femmes arborent le plus souvent un sourire triste soutenu d’un regard mélancolique et fragilisé par l’inclinaison quasi systématique de leur visage. En 1957, le sociologue Edgar Morin publie « Les Stars », ouvrage dans lequel il étudie à la fois les conditions d’apparition des stars » ainsi que la naissance et la nature même du star system (moment à partir du quel l’acteur acquiert le statut de vedette, d’idôle). Au début des années 20, l’acteur commence à exister publiquement hors de son rôle. Pour le sociologue, les stars offrent un sujet d’étude valable pour illustrer l’existence de « mythologie, voire de magie dans nos sociétés dites rationnelles » : « Le phénomène des stars est à la fois esthétique-magique-religieux, sans être jamais, sinon à l’extrême limite, totalement l’un ou l’autre ». Les stars deviennent le temps d’un film la coquille d’un « rôle » et pour Morin la star intègre plus ou moins certains grands modèles (sur et hors écran), qu’il nomme des « grands archétypes ». Parmi ces « archétypes » on retrouve, sous de grands traits, certaines caractéristiques des figures évoquées plus tôt chez Giorgione ou Botticelli. « La vierge innocente ou mutine, aux immenses yeux crédules, aux lèvres entrouvertes ou gentiment moqueuses (Suzanne Grandais en France), la vamp, issue des mythologies nordiques, et la grande prostituée, issue des mythologies méditerranéennes, tantôt se distinguent, tantôt se confondent au sein du grand archétype de la femme fatale. » |