Laura Hunt
L’actrice américaine Gene Tierney est née aux premières heures du star-system. En 1944 elle joue pour Otto Preminger dans un film noir intitulé Laura. Elle incarne Laura Hunt, jeune publicitaire retrouvée assassinée d’une décharge de chevrotine en plein visage. L’inspecteur McPherson est chargé de l’enquête. Le spectateur découvre Laura au travers de flash-backs issus des souvenirs évoqués par les suspects que l’inspecteur interroge.
Laura semble être un objet de fascination que les hommes ne peuvent que désirer et que les femmes envient. La jeune femme est le centre de l’intrigue avec ceci de particulier qu’il s’agit d’un centre absent, du moins jusqu’à la moitié du film où ensuite elle apparaît et l’on apprend qu’une autre est morte à sa place. Malgré cette absence, McPherson devient à son tour envouté par Laura Hunt et passe de plus en plus de temps dans l’appartement de celle-ci où il ne peut quecontempler le portrait peint de la jeune femme accroché au mur. Cette image devient le relais de son envoutement. Au milieu du film, alors que l’enquête piétine, l’inspecteur, dans le salon de Laura, ouvre ses tiroirs, feuillette un journal intime et finit par prendre une bouteille en s’installant devant le portrait. Il semble attendre que l’image s’anime, que Laura se manifeste, qu’elle lui apparaisse et lui révèle les mystères qu’il peine à résoudre. Elle n’apparaît pas et il s’endort. La star est une figure de domination par la fascination qui s’imprime dans le cerveau, qui « élit domicile dans l’esprit de ses admirateurs » (E. Morin). Dans le film de Preminger c’est un personnage, Laura Hunt, qui a élu domicile dans l’esprit d’un autre personnage, McPherson. Le dispositif du film de Preminger reprend un mécanisme propre au lien qui s’établit entre les stars et les spectateurs. « La star est bien un mythe, non seulement rêverie, mais idée-force. Le propre du mythe est de s’insérer de quelque manière dans la vie. Si le mythe des stars s’incarne si étonnamment dans la réalité, c’est qu’il est produit par cette réalité, c’est à dire l’histoire humaine du XXe siècle. Mais c’est aussi parce que la réalité humaine se nourrit d’imaginaire au point d’être elle-même semi-imaginaire. » Les stars, Edgar Morin L’essayiste et vidéaste Pacôme Thiellement ecrira que « les stars réalisent sur les masses ce que les muses opéraient précédemment dans l’unité subjective des seuls poètes ». Platon rapproche dans le Cratyl les Muses du désir de connaissance et de l’exaltation que cet appel procure chez l’homme. La muse active le désir ardent « de la recherche et de l’amour de la science ». La muse n’est pas une voix, elle ne dicte rien. Elle féconde l’imagination. Dans cette entente, l’imagination n’est pas une alternative au réel. La muse n’est pas perçue comme le déclencheur d’une distorsion esthétisante du réel mais comme un moteur de son enrichissement. « Imaginer, c’est hausser le réel d’un ton. », Bachelard |